Il y a 2 semaines, j’ai promis de publier une série d’articles sur toutes les décisions professionnelles que j’ai prises en 2018. Mais avant de les annoncer, je dois commencer par expliquer le pourquoi de ces décisions et pour cela, il faut revenir un petit peu en arrière.
J’ai commencé à communiquer sur les réseaux sociaux en 2016. Je voulais après des années d’atermoiements utiliser internet pour développer un peu plus mon cabinet, ma clientèle et j’avais plein d’idées pour le faire.
Ma motivation venait de ma lecture assidue des articles sur le développement des cabinets d’avocats, notamment américains. Tous ces articles vous expliquent (si je résume) que nous, avocats, avons tout faux, notamment sur la question des honoraires.
Pour tenter de comprendre, la grande majorité des avocats facturent au « temps passé » ; c’est à dire un taux horaire qu’on multiplie par le nombre d’heures passé sur un dossier.
C’est un mode de facturation assez classique pour d’autres professions, comme les consultants par exemple (plutôt à la journée qu’à l’heure d’ailleurs). Et selon tous ces auteurs, c’est une des raisons principales qui font que nous allons perdre tous nos clients. Nous, avocats, serions trop chers !
Et quand vous lisez cela à longueur de journée, à un moment donné, vous finissez par y croire (on reviendra une autre fois sur ce que c’est « trop cher »). Et donc, comme tout le monde, j’étais convaincue que je perdrais mes clients un jour à cause de cela.
Il y avait aussi une autre raison plus personnelle, c’est qu’en 2016, je suis devenue maman et je me disais que je ne pourrais plus comme avant développer ma clientèle en allant à des évènements de networking, conférences, cocktails et autres…
Le pire, c’est que je n’ai jamais eu de réelle difficulté à avoir des clients. Je suis installée depuis 15 ans et à part la première année qui a été un peu juste, mon volume de dossiers a toujours été très satisfaisant. Mais à force d’entendre dire « Winter is coming », je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison que je sois épargnée et que bien sur, je devais tout mettre en œuvre pour améliorer ma pratique professionnelle et éviter de perdre mes clients.
Et donc, j’ai décidé de mettre en pratique un nouveau mode de facturation : le tarif forfaitaire pur à des prix volontairement compétitifs ! Et j’allais même plus loin dans ma démarche : je mettrais tous mes tarifs sur internet !
En faisant ainsi, je jouais en plus le jeu de la transparence et répondais à une autre critique (très légitime celle-ci) : le manque de visibilité sur les honoraires d’avocats.
Pour pouvoir pratiquer ces prix bas, il fallait bien sur que je simplifie au maximum les process (pour gagner du temps bien sur et donc maintenir la rentabilité, ce sujet a toujours été très important pour moi !) et pouvoir jouer la carte du volume. Et le succès a été au delà de mes espérances.
Sur le premier exercice complet, j’ai eu +168% de dossiers en plus !! Enorme !! Magnifique !! Bravo, Sandra !
Je pourrais m’arrêter là et laisser mon ego prendre le dessus mais on me reproche souvent mon honnêteté un peu brutale, donc il faut bien lui laisser la place : en 2017, j’ai donc eu beaucoup de dossiers, beaucoup de travail, des embauches, de nouveaux locaux, j’avais décidé d’investir la jolie somme (pour moi !) de 40.000 euros mais j’ai eu aussi une rentabilité trois fois moindre à l’année précédente.
Si vous n’êtes pas chef d’entreprise, cela peut vous sembler formidable mais en réalité, il y a un gros problème dans ces deux ratios : je travaillais beaucoup plus mais sans encaisser forcément « beaucoup » plus.
Oui, vous me voyez arriver, je me suis confrontée frontalement au problème des forfaits « pas chers ». En fait, j’ai compris que quand on veut faire du « pas cher », il faut aussi accepter de négliger un peu la qualité et le sens du détail.
Sauf que ça, je ne sais pas faire (il ne s’agit pas ici de me lancer des fleurs, je parle réellement de méthode de travail) et dans ma méthode, je parle beaucoup avec mes clients, je les vois, et aussi, j’aime rédiger des contrats vraiment « sur-mesure ».
J’ai aussi toujours passé beaucoup de temps à parler avec mon équipe (d’ailleurs, pour certains, parfois, c’était épuisant.. ;-)), je discutais de droit avec eux, essayais de les former, de les faire progresser et pour cela, il n’y a pas d’autre solution que de passer du temps sur les dossiers.
J’ai toujours refusé de mettre la pression à mes collaborateurs sur le temps qu’ils passaient sur un dossier. Je leur disais « vous y passez le temps que vous voulez, le temps qui vous semble nécessaire, mais je veux que ce soit bien » (oui, je suis plutôt sympa mais très exigeante, pas toujours simple de bosser avec moi, certaines pourraient témoigner en commentaires.. Oui, Sophie, c’est à toi que je pense !).
Le problème, c’est que quand un collaborateur passe 40 heures de travail sur un dossier que vous facturez 1.500 euros, il y a un souci majeur. (attention, je ne blâme pas le collaborateur, il faut souvent ce temps là pour un collaborateur débutant pour lire tout le droit applicable sur un sujet, bien le comprendre, rédiger, relire, corriger, refaire des recherches, etc…Autant de temps que bien sur, on ne PEUT PAS facturer à un client. L’idée est que le collaborateur progresse avec le temps et ensuite aille plus vite pour parvenir à un rythme de croisière. Mais beaucoup d’avocats vous diront qu’ils ne facturent jamais la totalité du temps passé sur un dossier, ce que le client ne voit jamais d’ailleurs, mais c’est un autre sujet, je ferais un jour un article sur les clients qui vous disent « mais vous pouvez pas juste m’envoyer un petit modèle ?? »).
Donc, en résumé, au printemps 2018, j’ai réalisé que mon nouveau business model m’obligeait si je voulais m’entêter à :
- mettre la pression à mes collaborateurs pour qu’ils bâclent le travail ;
- rendre un travail moyen à un client parce que je n’avais pas le temps de le fignoler si je voulais maintenir ma rentabilité;
- Prendre des risques sur ma responsabilité professionnelle en fournissant un travail de qualité moyenne.
Trois choses que je n’ai pas pu me résoudre à faire. Et ne vous méprenez pas, je n’ai pas raisonné ainsi par grandeur d’âme ! non, non, non, j’ai raisonné en chef d’entreprise purement et simplement.
Si je vends 1.500 euros un contrat moyen à un client, je suis un mauvais avocat. Si je suis un mauvais avocat, je perds mon client. Point.
Si je mets la pression à mes collaborateurs (au delà d’être un être humain très moyen, mais encore une fois, c’est un autre sujet), ils sont démotivés, ils ne font plus du bon travail, l’ambiance devient pourrie, ils s’en vont, je dois embaucher de nouveau un débutant que je devrais former à nouveau. Autant dire d’un point de vue économique seulement, une idée débile !
Et voilà, pourquoi en 2018, je me suis rendue compte que mon idée n’était pas bonne, que j’avais fait un mauvais choix, et que j’avais dépensé 40.000 euros pour rien.
Alors, pas vraiment pour rien, en réalité. Non, parce qu’en 2018, j’ai accepté de perdre.
J’ai accepté de me dire « bon, j’ai fait un pari, je me suis trompée, je ne vais pas m’entêter juste par fierté mal placée ». Je savais ce qui était important pour moi sur le long terme : la confiance renouvelée de mes clients (là aussi, pas uniquement, parce que cela me fait plaisir ou que cela me flatte, mais aussi pour des raisons économiques !).
Et en 2018, j’ai donc renoncé à mon système de forfaits, j’ai supprimé une par une les pages de mon site (avec un pincement au cœur, j’avoue, j’aimais beaucoup cette idée). Et j’ai décidé de revoir mon business model et ma façon de travailler. Mais ça, ce sera pour une prochaine fois.
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